Etre prête à changer…
- Kaleiya Hitsumei
- 22 nov. 2018
- 8 min de lecture
Du temps où Lucinda était au lycée, elle aurait pu avoir beaucoup d’amis si elle l’avait voulu : elle se savait populaire, tout comme sa sœur ainée Monica. Seulement, son intérêt pour le surnaturel faisait que peu de gens la prenait au sérieux… excepté sa sœur jumelle, Giulia, qui ne supportait pas qu’elle soit vue comme une potiche sans cervelle. Bien que cultivant leurs différences, elles étaient tout de même proches et c’était un peu pour cela qu’elle avaient décidé de faire une certaine chose ensemble…
- T’es sure que tu veux me suivre sur ce coup Lucy ? Ca peut nous péter à la tronche tu sais…
- Certaine. Et puis il faut bien que je te canalise pour éviter ça.

Au réfectoire hier, elles avaient assisté à une scène qui leur avait donné la nausée à toutes les deux : une humiliation publique d’un de leur camarade car celui-ci était homosexuel, ce que n’avait pas apprécié les autres garçons du lycée - pas tous heureusement mais celui du lycée qui aurait été le plus à même de les remettre à leur place était à présent à l’université et la cousine de celui-ci étudiait à l’étranger. Ce qui avait été le plus désagréable pour elles deux, c’était de voir leur sœur ainée, Monica, qui riait au bras d’un de ces garçons. Giulia ne s’était pas privée de lui dire sa façon de penser une fois à la maison, Lucinda la soutenant. Leur frère Matéo avait dû les séparer car elles criaient trop fort puis il avait sermonné Monica sur son attitude.
Aujourd’hui, les jumelles Gregorio voulaient aider, même si elles se doutaient que cette personne n’allait pas bien les accueillir…
Elles passèrent le portail de la Tanière des renards, demeure de la famille Fox-Pesetas, et croisèrent monsieur Pesetas qui sortait de chez lui.
- Tiens ? Bonjour jeunes filles. Je peux vous aider ?
- Bonjour monsieur Pesetas. Nous venons voir votre fille.
- Eurydice ? Elle doit être dans sa chambre à cette heure-ci.
- Et c’est où au juste ?
- Utilisez vos oreilles. Elle doit surement être avec sa guitare.

Comme le leur avait indiqué M. Pesetas, il leur suffisait de suivre les notes hasardeuses venant du premier étage et, facilement, elles trouvèrent la chambre d’Eurydice où, comment attendu, cette dernière essayait tant bien que mal de jouer un morceau sur sa guitare.

- Salut la pompom girl !
Subitement, Eurydice stoppa ce qu’elle faisait et se tourna vers les jumelles, réalisant qu’elle avait de la visite. La rouquine posa sa guitare et d’un geste, les invita à s’asseoir.
- Bonjour. Qu’est-ce que vous fichez ici vous deux ?
- Nous sommes venues te parler.
- Me parler ? Vous êtes sérieuses ?!
La réaction d’Eurydice était prévisible : c’était son frère ainé qui avait subi cette humiliation publique et elles avaient bien vu à quel point cela l’avait mise en colère. Seulement, sans Erika Muerte dans les parages pour tenir en respect ces brutes sans cervelles, Eurydice n’était pas prise au sérieux et était reléguée au rang de potiche, ce qui ne correspondait pas à sa vraie personnalité.

- Si tu veux frapper Monica, vas-y ! T’as ma bénédiction !
- Giulia…
- Quoi Lucy ? J’te signale que c’est toi qui l’a giflée en premier !
Cela avait été une première pour elle… mais Monica l’avait VRAIMENT énervée et du coup, la gifle était partie toute seule - normalement, c’était plutôt Giulia qui n’aurait pas hésité à faire cela.
- Moui. Mais ce n’est pas pour les bêtises de Monica que nous sommes là. En fait, nous aimerions t’aider à changer ton image…
- Je suis très bien comme je suis.
- Ah oui ? C’est marrant car j’suis sure que c’est toi qu’j’ai vue sortir de la salle de bio cinq minutes avant la grande évasion des rats…
Giulia avait visiblement visé juste : Eurydice venait de déglutir, signe qu’elle n’était pas innocente dans cette histoire. Si sa jumelle et elle avaient bon, l’image de petite fille modèle de la rouquine lui avait permis de ne pas être soupçonnée de bon nombre de farces au sein du lycée bien qu’elle avait accès à certains lieux vu qu’elle était membre du club de gym.

- D’accord… Mais motus sur ça !
- T’inquiète. On gardera ton secret avec Lucy ! Fais voir ta garde-robe maintenant…
Eurydice leur ouvrit donc sa penderie et leur montra ses habits… ce qui fit grimacer Giulia.
- Sérieux, déjà que t’as une chambre de gamine, faut que toute ta garde robe soit pareille !
- Giulia… Le col Claudine est revenu à la mode tu sais…
- Je déteste et ça fait petite fille modèle ou même nonne t’en qu’à faire ! Ca m’étonne plus que tu sois pas prise au sérieux Fox !
- Fais gaffe Gregorio…

Lucinda le sentait, Giulia avait été trop directe avec Eurydice. Même si la rousse avait plus de caractère qu’elle ne voulait bien le montrer, ce n’était pas une raison pour la brusquer. Sauf que bon, sa jumelle avait un don pour mettre les pieds dans le plat…
- Et ça ? J’ai plus rien d’autre après.
- On part de loin…
- Bon, vous me gonflez toutes les deux !
- Wo-
- Giulia, non.
- Sortez et ne revenez pas chez moi. Compris ?

Comme elle l’avait craint, Eurydice en avait eu assez. Mais Lucinda ne comptait pas en rester là, ce qu’elle se garda bien de dire à sa jumelle pour éviter que celle-ci ne fasse tout foirer.
Un jour par semaine, Eurydice travaillait au restaurant de sa mère pour aider un peu. Lucinda l’y avait repérée alors qu’elle mangeait un morceau avec ses sœurs et l’avait revue toujours le même jour derrière le bar à préparer des sodas - c’était, avec les cours de gym, les seules fois où la rousse portait une queue de cheval, un coiffure qui convenait mieux à son caractère.

- Salut Eurydice.
Lucinda avait jugé que lui parler au restaurant était le plus simple car Eurydice ne pouvait pas fuir ou la chasser facilement. Elle allait bien être obligée de l’écouter.
- Tu comptes me coller un moment ?
- Non, c’est la dernière fois mais je ne peux rien garantir avec Giulia. Elle est plus butée que moi.
- Super…
Eurydice reçu une commande de boissons et s’en occupa en soupirant.
- Bon, tu veux quoi au juste ?
- T’expliquer pourquoi moi et ma sœur on veut tant t’aider.
- Apaiser votre conscience ?
- Non. Te permettre de soutenir pleinement ton frère. On comprend assez bien ce que vous traversez tous les deux et on vous soutient, même si Monica est contre nous. Giulia s’est vraiment senti concernée quand elle a vu ce qu’ils ont fait à Oliver…
- Ah… Et vous l’acceptez chez vous ?
- Ca ne change rien à qui elle est et je suis sure que tu penses pareil concernant ton frère.

Giulia préférait les filles et elle l’avait compris il n’y a pas très longtemps. Cependant, sa méfiance naturelle avait fait qu’elle n’avait dévoilée cela qu’à sa jumelle puis, sous la colère, à Monica puis Matéo. Si leur frère n’avait aucun problème avec ça, leur sœur allait mettre plus de temps à l’accepter vu la situation.
- Ca… ne veut pas dire que je suis prête à… changer d’image. Même si… Nan, j’suis pas prête pour ça.
- Qu’est-ce qui te freine si ce n’est pas indiscret ?
Eurydice tenait à son frère mais elle se raccrochait à son style de fille modèle qui ne lui correspondait pas. Pourquoi donc ?
- Disons… que j’ai peur que quelqu’un ne me reconnaisse pas si on se recroise.
- Ah ?
- C’est débile, je sais. J’espérai qu’il était au lycée avec nous mais apparemment, non. Pour une fois que je tombais sur un mec qui avait l’air intéressant… A croire que je le recroiserai jamais…

Tiens donc… Lucinda ne put s’empêcher de sourire en imaginant qu’Eurydice Fox-Pesetas était peut-être tombée amoureuse d’un inconnu. Cela expliquait qu’elle était réticente à changer.
Soudain, Lucinda sentit comme une présence pesante derrière elle… et vit qu’Eurydice grimaçait.
- Je vois qu’on papote par ici.
- Salut m’man…
- Bonjour madame Fox…
Aïe… Si monsieur Pesetas était assez cool quand c’était lui qui gérait le restaurant, sa femme, madame Fox, n’aimait pas trop que l’on confonde restaurant et salon de thé…
- La top-model compte commander quelque chose ?
- Heu… J’allais prendre un plat végétarien…

Brusquement, madame Fox lui mit le menu sous les yeux en pointant du doigt la page sur laquelle se trouvait tout ce qui était garanti sans viande.
- Maintenant Miss Monde, tu vas te poser ailleurs. J’ai deux mots à dire à ma fille.
Si c’était Giulia qui avait été à sa place, c’était certain qu’elle aurait répliqué mais face à Laurel Fox, elle serait surement tombée sur un os. Lucinda estimait donc plus sage de faire ce qui lui avait été demandé…
- Maman, je peux me débrouiller tu sais…
- C’est pas trop l’impression que tu m’as donnée là.
- Mais tu m’as espionnée ?!

- C’est mon restaurant Eurydice et que je sache, tu ne veux pas en hériter !
- Ben tiens que j’en veux pas ! Faut gérer les clients, le stock, les comptes, le personnel… Ollie c’est son truc ça, pas moi !
- Toi c’est plutôt les araignées en plastique qui tombent du plafond.
Eurydice déglutit en entendant cette remarque tandis que sa mère souriait.
- N’oublie pas que j’ai eu ton âge. Des bêtises, j’en ai faites plus que toi et des bien pires. Pareil pour ton père vu que c’est comme ça qu’on s’est connus et qu’on a emménagé à Newcrest.
- Je sais… Z’êtes pas du tout des anges contrairement à Ollie.
- C’est pour ça que je n’ai jamais compris pourquoi tu n’avais pas cherché à te rebeller. Tu as plus de caractère que ton frère, tu es intelligente, cultivée…
- Ca va m’man ! Erika m’avait déjà vanté toutes mes qualités tu sais…
Sa meilleure amie était à l’étranger et avant de partir, elle lui avait fait la liste de toutes les raisons pour lesquelles Eurydice serait toujours sa meilleur amie… et elle était TRES longue.

- Tout ça pour te dire Eurydice que si tu veux rendre service à ton frère, il serait temps pour toi de t’affirmer en dehors de la maison. Tu es assez forte pour encaisser les chocs.
- Ouais… Et je dois rendre la pareille à Ollie pour toutes les fois où il a chassé ceux qui m’embêtait quand j’étais gamine…
- Aussi. Peu importe ta décision, ton père et moi, on te soutiendra.

Lucinda venait de payer sa part de quiche aux légumes quand Eurydice vint la rejoindre.
- Dis, ta proposition est toujours…
- Oui, elle est toujours valable. Si tu veux, il y a des soldes à Magnolia. On peut y aller demain avec Giulia.
- Ca marche.

Le lendemain, elles se retrouvèrent toutes trois, comme convenu, à Magnolia Promenade.
- Ma mère a insisté pour me donner de l’argent donc on devrait être bonnes niveau budget.
- Hé ben… Elle vachement cool ta mère en fait ! J’lui pardonne la fois où elle m’a foutu les jetons à son resto.
- Oh et ne t’étonnes pas si Monica vient s’excuser. Elle a plaqué son copain quand il a insulté Giulia et elle a un peu mauvaise conscience.
- Aussi dément que ça peut l’être, ça lui arrive d’avoir des regrets… et du coup, je vais pouvoir coller un coup de pied là où je pense à son ex !
La remarque de Giulia les amusa beaucoup, surtout Eurydice qui devait être tentée de faire la même chose.

Il ne leur fallut pas longtemps pour trouver la bonne boutique, Giulia ayant ses adresses pour se vêtir. En attendant de pouvoir aller acheter du maquillage, Lucinda avait emprunté celui de sa sœur jumelle et entreprit de maquiller Eurydice pour durcir ses traits. Le résultat final fut très satisfaisant.
- C’est que ça te va bien le noir ! Ca fait ressortir ta couleur de cheveux !
- Merci…
- Tu veux essayer autre chose ?
- Ca ira. C’est sympa de votre part de m’avoir aidée à choisir quand j’hésitais.
- Par contre, elles vont faire une de ces têtes au club de gym…
- Je comptais arrêter. Ca me prend trop de temps et je préfère apprendre la guitare. Ca me correspond mieux.
- Là, j’peux t’aider ! J’ramènerai ma gratte chez toi dès que possible !

C’était ainsi que les sœurs Gregorio avaient pu devenir amies avec Eurydice et permettre à celle-ci de remettre à leur place ceux qui ne respectait pas son frère. Ce fut aussi une des dernières fois où Lucinda aura été si proche de sa jumelle Giulia…
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