—Elle va s’en remettre selon toi ?
—Je l’espère car autrement…
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Elle avait mal… très mal… Elle ne savait pas d’où pouvait bien venir la douleur… Partout en même temps peut-être… Et puis qui parlait au juste ?
—Les vieux onguents sont encore bons apparemment. Par contre, vu ses blessures…
Une femme… Qui était-elle au juste ? Sa voix ne semblait dégager aucune émotion… excepté une froideur telle qu’elle avait l’impression que la température ambiante venait de chuter.
—Ca en est où maintenant ?
—Si elle était réveillée, ce serait plus simple mais tant qu’elle est dans cet état, il faut attendre. ET je te rappelle que tu as interdiction de la manger.
—Dites, vous croyez que j’ai envie de mal finir ?
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Deux femmes… L’autre était clairement plus émotive et le timbre de sa voix lui était plus familier. Si seulement elle pouvait ouvrir les yeux…
—Déjà deux jours qu’elle est dans le coma…
—Je sais oui. Tu as trouvé ses affaires ?
—Quelqu’un est passé avant moi…
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Une troisième voix… Qu’est-ce que sa tête lui faisait mal ! Et pourquoi diable avait-elle l’impression que son corps pesait une tonne ?
—Ils cherchaient quoi à ton avis ?
—Pas son téléphone vu que Margaux l’a récupéré. Faut attendre de voir ce qu’elle a découvert à Newcrest.
—Elle tarde non ?
—Elle a dit qu’elle avait eu un contretemps à Willow Creek…
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Margaux ? Peut-être la femme à la voix froide. Que faisait-elle à Newcrest au juste ? Cette femme n’était quand même pas allée voir ses parents ?
—Alors ? Vous savez ce qu’ils voulaient ?
—Je pense que oui mais je me suis assurée qu’ils ne puissent pas si facilement mettre la main dessus. Par contre, j’ai dû passer par Forgotten Hollow pour m’assurer que tout serait prêt pour le jour J.
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De quoi parlait-elle au juste ? Le son typique de chaussures à talons se rapprocha de ses oreilles puis elle sentit un souffle contre son visage.
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—Eurydice, il est temps pour toi que tu te réveilles.
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Eurydice eut comme l’impression que ses poumons venaient de se remplir d’un air glacé qui apaisa un peu les douleurs qu’elle ne cessait de ressentir à travers tout son corps. Puis elle eut l’impression de ressentir comme un choc électrique, un peu comme la fois où, lors d’une sortie dans une ferme, elle avait eu la mauvaise idée de toucher la clôture des chevaux et qu’elle avait reçu une décharge dans le bras sauf que là, c’était tout son être qui avait tressauté. Enfin, ses yeux s’ouvrirent sur une pièce sombre qu’elle ne reconnaissait pas.
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En voulant se lever, elle eut une violente douleur à la poitrine et dut se contenter de s’asseoir le temps que cela passe. En jetant un œil à ses vêtements, elle vit qu’elle ne portait pas les siens et qu’en prime, elle avait des bandages autour du torse – d’ailleurs, heureusement qu’elle crevait de chaud car elle ne portait pas grand chose. Réalisant ensuite qu’elle trouvait sa tête bien légère, elle se passa une main dans les cheveux… et découvrit ainsi qu’il en manquait une bonne longueur !
Mais que lui était-il arrivé bon sang ?!
Elle entendit le son d’une porte qui grince au dessus d’elle puis le son de pas lourds descendant un escalier. Une lumière à la main, elle vit arriver une tête qu’elle connaissait : Belthelda, la fille vorace qui était au bar.
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—Ah ben t’es réveillée ! s’exclama-t-elle avec le sourire. J’commençais à me dire que j’allais devoir te creuser une tombe…
—Un peu tôt pour ça, répliqua Eurydice en grimaçant face à la douleur. On est où ?
—Chez moi. C’est un peu paumé mais c’est calme. Tu crois que tu peux monter seule ?
—Je pense pas…
Le fait d’essayer de se lever était bien trop douloureux. Sur conseil de Belthelda, elle se rallongea puis celle-ci lui donna un médicament que la jeune femme faillit recracher tellement il était infect. Ses yeux se refermèrent…
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Quand elle les rouvrit, Eurydice se sentait mieux et elle tenta à nouveau de se lever. Cette fois-ci, la douleur était plus supportable mais elle avait intérêt à s’appuyer contre le mur pour tenir debout car ça tanguait un peu autour d’elle. En prime, son estomac criait famine et une bonne odeur de nourriture venait d’en haut…
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—Hep là ! l’arrêta Belthelda en sortant d’un recoin sombre alors qu’elle allait monter seule. T’es pale comme pas possible là ! Je te tiens le bras et on monte toutes les deux. Pas envie de te retrouver en bas des marches encore plus cassée que maintenant !
Effectivement, elle était difficilement capable de tenir debout et si Belthelda ne l’avait pas aidée, elle aurait certainement fini en bas des escaliers avec la nuque brisée – d’ailleurs, soit elle était sacrément affaiblie, soit cette fille avait plus de force qu’elle le pensait car elle n’avait eu aucun mal à l’aider. Ce fut une fois assise sur une chaise qu’elle commença à se sentir un peu mieux… et qu’elle rougit un peu de gêne face à l’horrible gargouillis qui s’échappa de son estomac.
—Tiens, fit la maîtresse des lieux en lui posant un bol de nourriture et un verre contenant un liquide bizarre. Boit d’abord le médoc et je te filerai un verre d’eau juste après.
—Merci, lui dit Eurydice en s’exécutant… puis en faisant la grimace en reconnaissant ce goût infect. C’est immonde ce truc.
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—Si tu veux être rapidement rétablie, tu ne trouveras pas plus efficace ! Et rassure-moi, t’es pas vegan ou un truc du genre ? Parce que moi, j’suis plutôt carnivore…
—Nan, je mange de tout tant que c’est comestible. Et c’est quoi au juste ?
—Ragoût fait avec un sanglier malchanceux. Ça arrange bien les fermiers du coin quand je leur en débarrasse car ces bestioles font de sacrés dégâts.
Ça, Eurydice voulait bien le croire. Son père lui avait raconté que, plus jeune, un sanglier avait percuté sa voiture et celle-ci avait atterri dans le fossé. Il avait eu de la chance de s’en tirer avec juste quelques égratignures mais il avait été contraint de se racheter un véhicule car le sien avait subis des dommages tels que ça lui coutait plus cher de le réparer que d’en prendre un neuf. Depuis, il se méfiait quand il roulait près une zone boisée.
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—Au fait, il m’est arrivé quoi au juste ? demanda-t-elle, ses souvenirs étant un peu confus. J’suis un peu dans le flou là…
—A vu de nez, j’dirais que t’as failli finir en crêpe sur le bitume, lui répondit Belthelda en se servant à manger. C’que je sais à coup sûr, c’est que celui qui t’as fait ça t’as lâchement abandonnée à ton sort ! Je t’aurais pas repérée en me baladant, tu serais morte.
Percutée par une voiture probablement et le conducteur avait préféré le délit de fuite au lieu de vérifier si elle allait bien. Un sacré enfoiré qui a dû profiter d’être sur une route de campagne sans témoins pour vite filer avant de se faire prendre. Par contre, soit sa tête avait cogné fort, soit elle n’avait vraiment aucun souvenir d’avoir entendu le bruit d’un moteur… Et puis pourquoi la soigner ici au lieu de l’emmener à l’hôpital ? Bizarre tout ça… Faudra qu’elle éclaircisse ça quand elle se sentira mieux.
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—Oh et désolée pour ta tignasse ! s’excusa la maîtresse des lieux après avoir avalé une énorme cuillère de ragout. Elle était prise dans des ronces et j’ai dû la couper pour pouvoir te déplacer.
—Ça repousse les cheveux, la rassura Eurydice en se passant une main dans sa chevelure qui avait bien souffert. Un peu de changement leur fera pas de mal !
La fatigue revint plus vite que prévu et une fois son repas fini, Belthelda la ramena en bas puis l’aida à se recoucher et, dès que sa tête toucha l’oreiller, elle sombra dans un profond sommeil.
Quand elle se réveilla, cette fois-ci, Eurydice se sentait bien mieux et les douleurs avaient quasiment disparues. Rien ne tanguait autour d’elle et elle put se lever sans le moindre problème, parvenant à enfiler seule le t-shirt laissé pour elle par son hôtesse – il était un peu grand mais elle fera avec en attendant d’avoir des vêtements à sa taille. Par contre, combien de temps s’était écoulé depuis qu’elle était ici ? Elle n’avait pas pensé à poser la question.
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Prudemment, la jeune femme monta l’escalier, gardant une main appuyée contre le mur, puis atterrit dans ce qui était manifestement la chambre de Belthelda. Vu les murs, elle devait être dans un chalet ou quelque chose du genre car ils étaient en bois, un peu comme les maisons de vacances à Granite Falls – elle espérait d’ailleurs qu’elle ne s’y trouvait pas car en soulevant un des stores, elle ne vit que des arbres par la fenêtre.
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La porte menant à la pièce de vie était entrebâillée et Eurydice allait l’ouvrir quand elle entendit des voix…
—Comment va la fille aujourd’hui ?
—Mieux je pense. Vous avez réussi à éloigner la police ?
—Chance ou pas, ils ont des petits soucis internes en ce moment, ce qui joue plutôt en notre faveur.
Intriguée, la jeune femme s’approcha lentement pour voir qui était à côté. Si, à la voix, elle avait nettement reconnut Belthelda, cette femme en noir lui était inconnue mais elle était certaine de l’avoir déjà entendue… avant de se souvenir que c’était probablement cette Margaux qu’elle avait entendu parler durant son coma.
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—Et le reste ? questionna Belthelda. Z’aviez parlé d’enquiquineurs potentiels…
—A priori, je leur ai malgré moi réglé un de leurs soucis majeurs, répondit Margaux, visiblement contrariée. Sauf que c’était ça ou bien j’avais changé la ligne temporelle pour rien.
—Sérieux, j’ai encore du mal à comprendre pourquoi vous usez autant de ce pouvoir.
—Crois-moi, si la ligne temporelle d’origine était encore possible, tu aurais beaucoup plus de mal à trouver un lieu agréable pour écouter de la musique, y compris dans ce bar où tu allais souvent à Forgotten Hollow.
De quoi parlaient-elles au juste ? Eurydice continua d’écouter…
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—Ah ouais… fit Belthelda qui, au son de sa voix, devait être surprise. C’était mauvais à point ?
—Comme te dire… commença Margaux, l’air pensive. De ce que j’ai vu, tu aurais perdu ce vampire que tu sembles adorer embêter et Straud aurait été supplanté par pire que lui, créant une sorte d’âge sombre pour pas mal de monde, ogres y compris vu les soucis de nourriture…
—Génial… Vous venez de me décrire l’enfer là ! J’en ai presque l’appétit coupé !
—A ce propos, je te rappelle que tu as interdiction formelle de manger la fille…
—Je ne mange pas les musiciens ! Déjà que je m’arrange pour qu’elle ait des trucs normaux à bouffer et pas les abrutis que j’attrape…
Eurydice crut d’avoir avoir mal entendu mais, en voyant l’attitude de cette Margaux, elle su que ce n’était pas une plaisanterie. Elle eut comme la nausée en réalisant que quand Belthelda avait parlé d’embrocher Liam, c’était de façon littérale… et vu ce qu’elle entendait, elle se demandait sérieusement si ces histoires de surnaturels ne seraient pas réelles car cela expliquerait comment elle avait si bien guérit de ses blessures…
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—Et les fouineurs ? demanda Belthelda. Entre ceux qui cherchent votre bouquin et ceux qui posent trop de questions…
—Tu les tues, répondit froidement Margaux. De toute manière, même moi j’ignore où le Tome de l’Air a été déplacé mais si quelqu’un venait à découvrir que c’est nous qui gardons la fille, il ne faut pas le laisser en vie. Elle est essentielle à mes plans et j’ai gaspillé assez d’énergie à la surveiller pour risquer de la perdre !
A cet instant, la jeune femme commença sérieusement à douter du fait qu’elle était en sécurité ici. Surtout quand, en interprétant ces paroles, elle réalisa qu’elle était peut-être leur otage depuis le début, ce qui expliquait qu’elle n’ait jamais été conduite à l’hôpital…
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—Hé ben, fit Belthelda sur un ton un peu ironique. Je vous aurais pas imaginée aussi cruelle, surtout vu comment il parlait de vous. Vous avez une deuxième personnalité ou un truc du genre ?
—J’étais surtout différente de maintenant, déclara Margaux en lâchant un soupir. Cela fait bien longtemps que je ne peux plus me permettre de faire dans les sentiments, que cela me plaise ou non. Si je dois tuer, je tue, point. Celui contre qui je suis en train de lutter est bien pire que moi vu l’envergure des altérations temporelles qu’il a causé et je suspecte qu’il bloque en partie mon pouvoir de divination pour ne pas que je trouve où il se cache.
—Vous êtes sure que c’est un homme ?
—Certaine. Mes visions me l’ont indiqué et c’est pour cela que j’ai accepté notre alliance. Autrement, sois assurée qu’elle n’aurait pas duré aussi longtemps…
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Margaux se leva et elle tourna la tête… croisant le regard d’Eurydice qui se figea d’effroi pendant une seconde face à ces yeux d’un vert perçant. Puis quand cette femme s’en alla, elle retourna vite dans le sous-sol, essayant de comprendre ce qu’il se passait au juste.
Une cabane dans un coin inconnu, manifestement une sorcière et une… ogresse… Sérieusement, qui aurait cru qu’il lui faudrait un jour se remémorer ses lectures d’enfance ? Si elle avait Lucinda sous la main, celle-ci lui serait bien utile vu qu’elle étudiait le surnaturel mais là, elle était seule et devait compter sur ce dont elle se rappelait…
Pour les sorcières, c’était fichu d’avance car le domaine était tellement vaste qu’il lui serait impossible de bien cerner les possibilités de Margaux en magie – elle savait déjà qu’elle ferait mieux de l’éviter car celle-ci devait avoir la capacité de prédire ses faits et gestes. Par contre, pour les ogres, c’était plus simple vu qu’ils n’étaient pas bien compliqués : ils mangeaient beaucoup et de pratiquement tout – la seule exception semblait être les vampires avec qui ils avaient quelques conflits d’ordres culinaires car ils chassaient parfois le même gibier – et possédaient la force nécessaire pour assommer n’importe qui.
En conclusion, elle avait peut-être plus de chances de s’échapper d’ici si Belthelda était seule et endormie…
Comme il était compliqué pour elle de voir passer le temps, Eurydice dut se fier à tous ses sens pour essayer de déterminer les mouvements de l’ogresse : les odeurs de nourritures qui arrivaient à ses narines, la lumière qui filtrait par la porte du sous-sol et les grincements du parquet en bois massif. Avec ses oreilles, elle finit par percevoir que son hôtesse changeait de pièce puis le son typique d’un sommier grinçant sous le poids d’une personne se fit entendre. Elle attendit encore, son ouïe guettant le moindre son pouvant lui confirmer ce qu’elle espérait tant.
Enfin, elle l’entendit : un ronflement léger, suffisant pour lui indiquer que Belthelda était en train de dormir. Prudemment, Eurydice monta les marches jusqu’à la chambre. Comme attendu, l’ogresse dormait à poings fermés et, par chance, elle n’avait pas refermé la porte menant à la pièce de vie !
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A pas de loups, elle s’y glissa, essayant de produire le moins de sons possible. A deux reprises, elle se figea, le parquet ayant grincé sous son pied et, quand la respiration de Belthelda lui confirma qu’elle dormait encore, elle avança à nouveau.
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Elle dut tâtonner un peu dans le noir pour trouver le verrou de la porte d’entrée puis l’ouvrir mais, ce qui la paniqua au plus haut point, ce fut le son atroce que fit le battant de bois quand elle le bougea, faisant qu’elle l’ouvrit brutalement et qu’elle se mit à courir.
Seulement, elle ne mit pas longtemps à trouver où elle était réellement… quand elle atteignit le bord de l’île de Windenburg. Elle ne l’avait pas visitée mais Giulia lui avait mentionné que si l’on s’y rendait, il valait mieux avoir son propre bateau car les horaires du ferry étaient limités. Elle était bloquée au milieu de l’eau et elle doutait que l’option « nager jusqu’à la ville » soit un bon plan s’il y avait des courants.
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—Hey ! Recule vite !
Eurydice sursauta en entendant la voix de Belthelda et se retourna rapidement… avant de lâcher un cri d’effroi en voyant la vraie apparence de l’ogresse.
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—Mince, jura Belthelda qui semblait réaliser le problème. Pitié, évite de crier ! T’es en sécurité chez moi !
Mais Eurydice était terrifiée à présent et, d’instinct, elle se remit à courir, oubliant que, techniquement parlant, elle ne pouvait pas s’enfuir de cette île. Elle ignorait quelle distance elle parcourait mais elle avait conscience qu’elle prenait de la hauteur.
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Puis, totalement épuisée par sa course folle, elle finit par s’arrêter pour essayer de reprendre son souffle.
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Seulement, elle était tellement éreintée que sans le réaliser, elle s’écroula dans l’herbe et perdit connaissance…
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