Chapitre 11 : Les Reiji

Il avait évité la lame de justesse, y laissant quelques cheveux roux qui n’avaient pas pu échapper au tranchant de l’arme. Ezekiel sortit sa baguette magique pour se défendre mais Momoko le désarma en un coup de pied bien placé puis le frappa à la tête avec la garde du katana. Il tomba à terre, assommé, et la dernière chose qu’il vit fut les pantoufles à têtes de pandas de la chasseuse de démons.

Quand il reprit conscience, il fut assez surpris d’être encore en vie. Ses mains étaient attachées, ses yeux bandés et ses narines percevaient comme une odeur de peinture fraiche. La dureté de la surface sur laquelle il était allongé lui faisait penser à un banc – s’il avait passé du temps endormi là-dessus, cela expliquait que son corps soit endolori. Il se mit difficilement en position assise alors que ses oreilles percevaient des voix.

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Bien qu’il entendait assez bien leurs paroles, ils utilisaient la langue de Kyosims, faisant qu’il ne comprenait que les rares mots qu’il connaissait – il repéra un « Yamato-kun » prononcé très certainement par Momoko et un « Momoko-chan » qu’un homme prononça sur un ton plus calme que la jeune femme. A tous les coups, il était retenu prisonnier par la fratrie Reiji.

Des pas se rapprochèrent de lui et le bandeau qu’il avait sur les yeux lui fut soudainement ôté, lui permettant de découvrir qu’il était dans une pièce visiblement en train d’être refaite vu les pots de peinture et outils présents. Devant lui se tenaient Momoko et un homme qui partageait de nettes ressemblances physiques avec elle – il devait certainement être son frère, Yamato.

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—Tu as du culot d’oser venir chez nous ! s’exclama l’homme. Sais-tu seulement qui nous sommes ?

Manifestement, les formules de politesse n’existaient plus face à un ennemi potentiel. Il était fort probable que les Reiji soient entraînés à ne pas voir les démons comme leurs égaux afin de plus facilement pouvoir les éliminer.

—Des chasseurs de démons. Je savais très bien ce que je risquais en venant dans ce quartier.

—Donc tu sais ce qui t’attend à présent ?

Une exécution pure et simple à un endroit où personne ne les verraient faire. Après cela, il n’était pas difficile de deviner que jamais personne ne retrouvera son corps.

Il vit la lame d’un katana briller dans la faible lumière qui éclairait la pièce et, alors qu’il se préparait mentalement à sa fin définitive, son téléphone se mit à sonner, interrompant Yamato et Momoko. Est-ce que c’était ses parents qui tentaient de le sauver ?

Cela, il n’allait pas tarder à le savoir car la jeune femme lui prit son téléphone portable dans sa poche. Elle regarda qui appelait en fronçant les sourcils avant de montrer l’écran à son frère qui, lui, sembla un peu surpris par le nom de l’appelant. Curieux comme réaction, surtout quand la cadette de la fratrie décrocha en mettant le haut-parleur.

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—Allo ? Zeke ?

Iowa ? A tous les coups, il n’avait dû voir son message que maintenant et l’avait rappelé dès que possible pour en savoir plus.

—Iowa Smith ?

Là, Ezekiel en était certain : Yamato était étonné car il connaissait l’aventurier, raison pour laquelle sa sœur avait mis le haut-parleur. En fouillant dans sa mémoire, le magicien se remémora quelques conversations avec son ami, celui-ci parlant vaguement d’un camarade de lycée qui l’avait bien aidé à finir sa scolarité à Newcrest.

—Yamato Reiji ? Qu’est-ce que tu fiches avec le téléphone d’un de mes amis ?

—Un petit… différend que j’étais en train de régler avec lui.

L’aîné des Reiji était visiblement moins sûr de la décision à prendre, ce qui était une très bonne chose pour la survie d’Ezekiel. C’était pour lui l’occasion ou jamais de sauver sa tête !

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—Iowa, ils m’ont surpris trop près du Tome de l’eau. J’étais censé rentrer à la Tour Mirage mais au lieu de ça, je suis allé voir où était ce Tome.

—Ca t’a pas suffit les Saharas à Oasis Springs ?! le réprimanda l’aventurier. Pour un type qui en a dans la cervelle, j’aurais cru que tu aurais appris la prudence après avoir faillit finir cramé !

—De quoi parlez-vous au juste ?

Momoko et son frère ne comprenaient plus trop la situation, ce qui permit enfin au magicien de leur donner pleinement sa version des faits, étayée par le témoignage d’Iowa qui leur raconta leur aventure ardente dans le temple des Saharas et leur dernière conversation téléphonique.

Bien entendu, les Reiji étaient sceptiques mais la jeune femme s’absenta pour aller voir Sedna afin de lui demander confirmation de l’existence de cette Tour Mirage, faisant qu’à son retour, les doutes qu’ils avaient sur son honnêteté furent aisément dissipés. Ezekiel fut donc libéré et, pour s’excuser du traitement brutal qu’il avait reçu, fut invité à l’appartement 4A où Yamato vivait avec sa sœur. Il lui fut proposé de lui servir du thé Genmaicha mais il refusa poliment, ce qui sembla soulager un peu l’ainé des Reiji qui jetait un regard inquiet sur sa cadette alors qu’elle préparait de quoi boire – l’explication de cette attitude ne tarda pas à arriver car Momoko trébucha et, sans son frère, son plateau et tout ce qui se trouvait dessus aurait fini sur le sol.

Installés confortablement autour du Kotatsu, un silence plutôt apaisant régnait dans la pièce à vivre qui était très sobre si on la comparait à celle de Din au 3B – en même temps, il était difficile de faire plus coloré qu’elle au niveau de la décoration à ce qu’il avait cru comprendre.

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—Toutes nos excuses pour… la détention, déclara Yamato avec un certain embarras.

—Ce n’est rien. J’aurais dû directement venir vous voir dès que j’ai su que le pressing des Sewin était dans votre quartier.

Quoique… l’accueil aurait probablement été similaire maintenant qu’il y pensait…

—Dans tous les cas, nous ne pouvons pas nous permettre de vous prêter le Tome de l’eau en ce moment, même pour quelques heures.

—Oui, j’avais cru comprendre que Sedna avait beaucoup à faire. D’ailleurs, lequel de vous l’a invoquée ?

A cette question, Yamato se mit à fixer Momoko. Cette dernière avait un éclat de tristesse dans le regard avant de se tourner vers lui.

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—C’est moi, avoua la jeune femme. Quand Nathan et les Sewin ont emménagé ici, ils avaient tout perdu donc j’ai demandé à Sedna d’aider les habitants de cette résidence.

—Et elle a apaisé leurs tourments en chantant, leur permettant ainsi de reprendre leur vie en main sans être hantés en permanence par leurs mauvais souvenirs.

—C’est exact.

Ezekiel devait le reconnaître, la volonté du Tome de l’eau avait fait du beau travail car les Sewin avaient à nouveau un commerce et une bonne clientèle tandis que Nathan avait rencontré Din et il avait pleins de projets pour l’avenir. Cependant, le magicien se souvenait de ses paroles et il suspectait que les Reiji étaient eux aussi inclus dans ceux qui avaient une âme en peine.

—Ezekiel-san, avez-vous déjà vu le Matsuri ?

—Non mais j’en ai beaucoup entendu parler auprès d’Orlando et de Din.

Yamato eut un léger sourire crispé en entendant le nom de l’artiste, ce qui rappela au magicien que Din lui avait raconté que ses parents avaient tenté de la marier avec l’aîné des Reiji contre son gré. Visiblement, les relations entre ces deux-là ne devaient pas être excellentes…

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—Pour nous faire pardonner de notre méprise, tu peux rester si tu le souhaites. L’appartement 3A nous appartient et nous prévoyons de le mettre en location après le Matsuri.

Maintenant qu’il y réfléchissait, Ezekiel ne serait pas contre un repas et une douche. Il faudra juste qu’il prévienne ses parents et espérer que ceux-ci n’allaient pas trop l’engueuler…

Il accepta donc la proposition des Reiji et suivi Momoko jusqu’à l’appartement d’à coté. Elle ouvrit la porte avec la clé qu’elle avait prise dans un tiroir puis ils entrèrent dans l’appartement. Celui-ci était décoré de façon assez impersonnelle, certainement pour faciliter sa location.

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—La chambre à gauche est une chambre d’enfant et tu as quelques ustensiles de cuisine dans les placards. Si tu as besoin d’acheter des choses, tu peux prendre le tramway et descendre à l’arrêt de l’avenue des pivoines. Il y a une bonne épicerie là-bas.

—D’accord. Merci pour tout Momoko.

—Ce n’est rien Ezekiel-kun.

—Par contre, j’aurais besoin de récupérer ma baguette…

—Tu peux aller la chercher quand tu veux au sanctuaire. Je dois te laisser à présent. Je dois finir un programme pour mon travail.

Sur ces mots, la jeune femme le laissa seul dans l’appartement.

Etant fatigué, le magicien s’autorisa une sieste dans la chambre puis, une fois reposé, il se changea pour des habits plus décontractés et se rendit rapidement à cette épicerie dont lui avait parlé Momoko pour acheter des ingrédients. De retour au 3A, il se prépara de quoi manger avec les ustensiles disponibles et en se fiant aux cours de cuisine que son père lui avait donné quand il était ado.

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A un moment donné, son téléphone sonna. Ezekiel savait que cela ne pouvait pas être ses parents car il leur avait déjà parlé avant d’aller prendre le tramway – ses oreilles étaient encore douloureuses suite à la gueulante poussée par sa mère qui l’avait réprimandé pour s’être montré aussi imprudent – donc cela ne laissait qu’Iowa, ce qui se confirma quand il vit le numéro affiché à l’écran.

—Salut Iowa !

—Salut Zeke ! Bon, t’as fait quoi à Yamato pour te le mettre à dos ?

—Un simple malentendu qui a été réglé grâce à toi. Merci encore.

—Je me suis douté. Yamato est pas méchant mais il n’aime pas beaucoup qu’on s’en prenne à sa famille voire même à ses amis bien que le connaissant, son cercle d’amis doit toujours être aussi restreint.

—Toi et lui êtes des amis ?

—On peut dire ça. On partageait le même casier au lycée et nos camarades n’aimaient guère mes… préférences. Yamato ne me connaissait pas à l’époque mais quand il a vu qu’on me harcelait, il n’a pas hésité à prendre ma défense.

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L’aventurier lui donna plus de détails, racontant comment certains s’étaient amusés à tagguer son casier avec des insultes homophobes et la manière dont l’aîné des Reiji leur avait donné la correction qu’ils méritaient pour toutes les fois où ils s’étaient montrés irrespectueux envers Iowa ainsi qu’à ceux qui allaient devoir nettoyer leurs bêtises – de ce que le magicien put comprendre, Yamato était un redoutable combattant, que ce soit avec ou sans katana entre ses mains, mais il avait du mal avec les technologies, faisant qu’il avait parfois besoin d’aide pour utiliser correctement un ordinateur ou un smartphone.

—Tu me fais penser Zeke, j’ai croisé une fille après ma conférence sur Heaven…

—Elle a dû être déçue.

—Je pense qu’elle l’avait deviné vu comment elle m’a abordé. Elle a été assez directe, comme pour vérifier de quel bord j’étais, puis avant qu’elle ait pu continuer, son frère est venu l’embarquer dans un couloir.

—Elle demandait pour son frère peut-être ? Ce serait pour toi une occasion de rencontrer quelqu’un.

—Je ne sais pas… Certes, son frère est pas mal mais c’est un étudiant.

—Rien ne t’empêche de juste prendre un verre avec lui, ne serait-ce que pour voir si vous avez des affinités ou non.

Même sans être en face de son ami, Ezekiel sentait qu’il était gêné, ce qui l’amusait un peu.

—C’est pas faux… déclara Iowa, quelque peu embarrassé. Si je le recroise lui ou cette Eurydice, je tenterai peut-être de l’inviter dans le pub près de l’université. Par contre, je dois te laisser.

—D’accord. A bientôt Iowa !

Le magicien raccrocha avant de tilter : est-ce qu’à tout hasard l’aventurier avait croisé la rouquine qu’il avait heurtée l’autre jour ? Ce serait une chose à vérifier auprès de l’intéressée car il n’avait pas encore prit le temps de lui téléphoner.

Ezekiel décida d’aller faire un tour au pressing pour récupérer ses affaires quand il nota une série de cartons devant le 1B, là où vivait Nathan. Visiblement, quelqu’un était occupé aujourd’hui.

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Quelques jurons étaient audibles depuis l’appartement en question avant que l’homme à tout faire de la résidence n’en sorte, l’air contrarié, avant de fixer le magicien avec surprise.

—Oh ? Salut Ezekiel, fit Nathan en essayant de cacher son mécontentement.

—Il y a un souci ?

—C’est peu de le dire…

L’homme à tout faire désigna les cartons ainsi que le bazar à l’intérieur de son appartement.

—Un petit malin a détruit certains stands donc je dois me dépêcher de les réparer pour le Matsuri et, en prime, faire des sculptures en bois pour les vendre. En plus, je dois dîner chez les parents de Din ce soir ! Jamais j’aurais le temps de tout faire à temps…

—Et si je t’aide ?

L’homme à tout faire regarda le magicien avec scepticisme – c’était plutôt logique car cela ne faisait que peu de temps qu’ils se connaissaient donc aucun n’était vraiment au fait des compétences de l’autre.

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—Tu sais utiliser un marteau sans te mettre un clou dans le pouce ?

—Ainsi qu’une scie et plein d’autres outils.

—D’accord. Je vais te chercher un de mes vieux t-shirt et on va se mettre au travail. Orlando va piquer une crise s’il voit que je te fais bosser avec du blanc.

Après s’être changé chez Nathan – le mot « bazar » était bien choisi pour qualifier l’endroit où vivait le jeune homme car son atelier était dans sa pièce de vie et entre les objets en panne ainsi que la vaisselle proche de l’établi, il était clair que le ménage et la cuisine n’étaient pas les préoccupations principales du propriétaire des lieux –, Ezekiel le suivit jusqu’au parc où aura lieu le Matsuri tout en l’aidant à porter quelques cartons.

Les lieux étaient calmes, principalement occupés par quelques personnes qui vérifiaient qu’ils avaient le stock nécessaire pour toute la durée du festival ou des artistes qui venaient voir la scène afin de savoir comment installer leur matériel le jour J. Chacun sur un établi, les deux hommes se mirent au travail.

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A eux deux, ils avançaient plutôt bien. Nathan avait pu faire une belle sculpture de dragon avant d’attaquer celle d’un tigre tandis qu’Ezekiel avait pu réparer un des stands sans trop de mal.

—Quelles animations y aura-t-il au Matsuri ? demanda le magicien après avoir aperçu trois jeunes femmes qui semblaient venir tout droit de New Simhi vu leurs costumes.

—A la base, il n’y avait que des spectacles venus de Kyosims mais comme il y avait beaucoup de communautés différentes, c’est devenu beaucoup plus varié, expliqua l’homme à tout faire en travaillant sur sa sculpture. Globalement, il y a des danseurs, des musiciens et des démonstrations de différentes techniques. Un spectacle de marionnettes est même prévu pour les plus petits.

—En résumé, c’est un peu un festival multiculturel ?

—On peut dire ça oui.

Le magicien nota un petit sourire rêveur sur les lèvres de Nathan.

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Alors qu’ils avaient presque fini de réparer un deuxième stand, ils entendirent des cris un peu plus loin, comme lors d’une dispute. En cherchant l’origine des voix, ils remarquèrent Momoko, l’air très contrariée, face à un homme vêtu d’un costume assez cher.

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—Soyez raisonnable mademoiselle Reiji, déclara calmement cet homme. Vous savez très bien que mon offre est plus qu’à votre avantage…

—Il est hors de question que notre famille vous cède ce terrain ! répliqua avec force la jeune femme. Ce lieu est sacré et vous n’en comprenez pas l’importance !

L’homme n’était visiblement pas satisfait de la réponse obtenue mais il se reprit vite et afficha un sourire mielleux à en faire vomir un ours.

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—Nous reparlerons de tout cela plus tard mademoiselle Reiji mais n’oubliez pas votre situation actuelle, fit l’homme sur un ton quelque peu menaçant. Si vous attendez de trop, même moi ne pourrait rien faire pour vous.

— Allez-vous-en monsieur Duspeti !

A l’entente de ce nom, Ezekiel eut comme un signal d’alarme qui s’alluma dans sa tête tandis que cet homme quittait le parc : c’était le nom de celui qui avait maudit ses parents.