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Apprentissage

Il y a très longtemps dans les montagnes lointaines, celles que l’on devinait depuis l’ancien royaume d’Avalon, se trouvaient de petits villages où la vie était simple et qui étaient étrangement épargnés par les guerres et conflits existants à cette époque. Ceux qui y habitaient étaient comme coupés du reste du monde, survivants grâce aux ressources locales : les poissons des rivières, les différents fruits et légumes qui parvenaient à pousser dans ces vallées secrètes, l’eau fraiche des nombreux ruisseaux, l’élevage… Le troc était très pratiqué, notamment pour payer les services de la guérisseuse, Iris, dont les compétences étaient très appréciées par tous depuis qu’elle était arrivée parmi eux.

Cette guérisseuse vivait dans une cabane qu’elle avait partagée avec sa mère avant que celle-ci ne s’en aille, faisant qu’à présent, elle était seule avec son fils unique qui était aussi son élève et qui connaissait les propriétés de chaque plante sur le bout de ses doigts.

—Toujours plongé dans ces vieux grimoires ? fit Iris en notant qu’encore une fois, son fils, âgé de quatorze ans, avait pioché dans les ouvrages qu’elle avait stockés dans un coin de leur demeure.

—Ils sont très intéressants maman, dit-il en tournant la page du livre de magie qu’il lisait. Si l’on pouvait se servir de ces sortilèges…

—Nous n’avons aucun moyen de le faire, tu le sais. Nous ne sommes que de simples guérisseurs Gabriel.

—C’est vrai… Mais nous avons des pouvoirs magiques.

—Les autres ne le savent pas et ils n’ont pas besoin de savoir quels genres de petits miracles nous pouvons créer.


L’adolescent soupira en entendant cela. Ce n’était pas la première fois que sa mère lui disait cela mais il comprenait ses réticences, surtout depuis qu’il avait vu la barrière magique qui permettait d’éloigner les ogres vivant dans cette région afin qu’ils n’attaquent pas les habitants. Il ignorait quel magicien l’avait mise en place au départ – il avait supposé que c’était son père au début, celui-ci étant un véritable mystère vu le peu que sa mère lui en avait dit, seulement, rien dans ce qu’il avait pu trouver ou apprendre ne confirmait cette théorie – mais il avait plusieurs fois vu sa mère aller vérifier qu’elle était encore en bon état.


Cependant, même s’il aimait marcher dans les montagnes pour aller chasser, pêcher ou récupérer de quoi fabriquer des remèdes, Gabriel était très attiré par ces livres et il désirait de plus en plus apprendre la magie dans son ensemble et non pas seulement celle de guérison qui tirait en grande partie son pouvoir de l’eau.  

—Encore à lire ces livres à ce que je vois, fit sa mère, un peu amusée.

—Si tu as peur que l’on me voit faire, sache que je doute fort que quelqu’un ici arrive à lire tout cela, dit-il en fronçant le nez face à une page écrite dans une langue qui lui était inconnue. Papa arrivait vraiment à comprendre ce charabia ?

—Certains de ces livres m’ont été donnés avant que je ne le rencontre donc il se peut que certains soient dans des langues mortes.

En entendant ces mots, l’adolescent leva ses yeux bleus sur sa mère, quelque peu surpris d’apprendre cela. Se pourrait-il…

—Il y a un autre magicien dans ces montagnes ? demanda-t-il, très intéressé.

—On peut dire cela oui, répondit Iris avec douceur. Je l’aide parfois quand elle n’a pas le temps de s’occuper de la barrière ou bien je la consulte quand j’ai un cas difficile à soigner. Si tu tiens tant à apprendre la magie, je peux te la présenter.

—Oui ! Euh… Je veux dire… Cela me ferait plaisir maman mais je ne veux pas te rajouter du travail…

—Cela ne m’embête pas. Tu es assez grand pour faire tes propres choix et je les respecterais, comme ta grand-mère l’avait fait avec moi.

Sa grand-mère… Gabriel se demandait parfois à quoi elle ressemblait, ne la connaissant que via les récits de sa mère. Il n’avait pas non plus connu son grand-père, un homme dont il n’avait entendu que du bien, et son père, celui-ci ayant disparu avant sa naissance.


Ils avaient convenu de se rendre chez cette magicienne une fois qu’ils eurent fait le tour des habitants, vérifiant que personne n’avait besoin de soins — la seule qui avait besoin de leurs services était la doyenne du village qui souffrait d’un bon rhume et a qui ils remirent de quoi se faire des tisanes afin d’aider son corps à récupérer tout en lui rappelant qu’elle devait se reposer. Après avoir passé la dernière maison, sa mère l’entraina à l’écart du sentier, dans un endroit où poussait un arbre étrange sur lequel poussaient des champignons de toutes sortes.

—Ah mince… fit sa mère en grimaçant. Il va falloir rouvrir l’entrée secrète…

—Et comment on fait ? demanda Gabriel, curieux.

—Essaie de parler à cet arbre. Reste poli car il est magique et un peu susceptible…


Comme pour confirmer les dires d’Iris, les branches se mirent à osciller, chassant les oiseaux qui s’étaient posés dessus.

—Oh, c’est donc un des ces fameux chênes du sorcier ! s’exclama-t-il, réalisant qu’il avait déjà vu cet arbre dans un de ses livres. On dit que vous emmagasiner la magie circulant dans le sol en votre sein depuis des millénaires ! C’est très impressionnant !


Il omit soigneusement de préciser que ces arbres étaient devenus rares car leur bois était prisé par les magiciens qui s’en servaient pour bien des choses comme faire des baguettes magiques afin de pratiquer plus facilement leur art.


Visiblement, ses paroles firent leur effet : dans un son un peu grinçant, une ouverture béante apparue dans le tronc de l’arbre, assez grande pour qu’un homme puisse y passer sans difficultés. Gabriel se pencha pour regarder à l’intérieur et il vit qu’un escalier descendait sous terre.

—C’est très sombre, fit-il remarquer.

—Il faudra que tu fasses avec, l’avertit sa mère. Si tu éclaires ce passage avec une flamme, il se refermera sur toi et tu ne pourras jamais en sortir.


En d’autres termes, il finissait enterré vivant…


Prudemment, il entra à l’intérieur du tronc, gardant une main sur la paroi afin de se guider tout en descendant l’escalier caché. En bas des marches, ses yeux furent habitués à la pénombre et le passage s’élargit un peu, permettant ainsi à sa mère de marcher à ses côtés et de le guider jusqu’à la sortie. Il dut baisser la tête pour éviter ce qui ressemblait fort à une racine puis, arrivé à la surface, il ne put empêcher sa bouche de s’ouvrir toute seule face à tant de beauté et de féérie.

—Maman c’est… whaou, fit Gabriel en admirant cette clairière emplie de magie.

—N’est-ce pas ? répliqua Iris, amusée. Suis-moi. Elle ne doit pas être très loin je pense.


S’éloignant de l’arbre par lequel ils étaient entrés ici, ils contournèrent l’étang pour se rapprocher de la crique. Au détour d’un arbre, le jeune homme aperçut une silhouette féminine de dos dont la peau claire semblait presque luire, donnant un aspect éthéré à cette personne – il se rappelait un texte où l’auteur avait décrit les anges de cette manière, à la fois d’une beauté à couper le souffle mais inaccessibles au commun des mortels. En se rapprochant, il entendit fredonner un air qu’il ne connaissait point et qui était à la fois doux et mélancolique.

Quand sa mère marcha sur une branche au sol, la femme s’arrêta de fredonner, et se retourna, d’abord sur la défensive puis, en les apercevant, elle se détendit et un sourire éclaira son beau visage, illuminant ses yeux d’un bleu azur.

—Pardon de t’avoir surprise, s’excusa Iris. J’oubliais que tu étais méfiante.

—Ce n’est rien, répondit l’inconnue. J’aurais dû me douter que c’était toi. Personne d’autre ne sait comment venir dans ce lieu caché après tout.


Elles échangèrent un léger rire puis, d’un signe, sa mère lui fit signe d’approcher. Gabriel s’exécuta timidement, subjugué par la beauté surnaturelle de cette femme qu’il rencontrait pour la première fois.

—Jaimie, je te présente Gabriel, mon fils, fit Iris. Je crois que cela fait un moment que tu ne l’as pas vu d’aussi près.

—Plusieurs années oui, confirma Jaimie avec un hochement de tête. Il était bien plus petit que cela la dernière fois que nous nous sommes vus. Il a tout pris de toi et de ton père à ce que je vois.


Elle avait connu son grand-père ? L’adolescent était surpris car, de mémoire, sa mère lui avait bien dis qu’il était mort bien avant qu’il ne soit né. Cette femme serait-elle donc plus âgée qu’elle n’y paraissait ?


—Je te l’amène car il souhaiterait apprendre la magie. Penses-tu pouvoir t’en occuper ?


A cette question, la dénommée Jaimie tourna ses yeux bleus vers lui, le faisant déglutir quand elle le jaugea avec sévérité.

—Pourquoi veux-tu apprendre la magie ? demanda-t-elle avec méfiance. Quelles sont tes motivations Gabriel ?

—J- Je…bafouilla-t-il, prit de court.

—Réponds-moi avec ton cœur et non avec ta tête. Si tu me mens, je le saurais.

—Je… Je ne déteste pas le fait d’être guérisseur mais… je sais que l’on peut faire plus, bien plus. La magie fait partie de moi et… je…

—Tu veux comprendre qui tu es ?

—Oui ! Enfin…


D’un geste de la main, elle lui fit signe de se taire. L’adolescent crut qu’il ne l’avait pas convaincue au départ mais en apercevant son sourire en coin, il n’en fut plus si sûr.


—Nous allons commencer avec les bases et voir ce que tu as déjà acquis d’un point de vue théorique, lui dit-elle, le comblant de joie. Iris, je te le renvois avant le coucher du soleil. Ca me laissera assez de temps pour évaluer ses compétences actuelles.


Rapidement les deux femmes se saluèrent et une fois sa mère partie, Gabriel était à présent seul avec celle qui allait être son professeur de magie, ce qui le rendait très nerveux. Puis sans qu’il ne sache comment, elle fit apparaitre entre ses doigts une baguette magique.

—La base principale en magie : un réceptacle, expliqua Jaimie avant de tendre le bras et de se servir de la baguette pour émettre une lueur vive. Tout magicien débutant se doit d’user d’un réceptacle adapté pour jeter ses sorts, que ce soit une baguette comme celle-ci, un sceptre ou bien tout objet magique permettant de concentrer la magie et ainsi mieux la maitriser. C’est encore plus important pour quelqu’un comme toi qui es encore en pleine croissance car tant que ton corps n’a pas atteint sa pleine maturité, ce sera aussi le cas de tes pouvoirs.


La lueur s’éteignait et elle baissa son bras. Puis, d’un habile mouvement de ses doigts, elle fit apparaître une deuxième baguette magique qu’elle lui tendit. Nerveux, il la prit dans sa main et imita son geste quelque peu maladroitement.

—C’est bien ça qu’il faut faire ? demanda-t-il, se demandant comment faire pour imiter ce qu’elle avait fais plus tôt.

—Tu n’as pas besoin d’être aussi tendu qu’un arc pour jeter un sort tu sais, répondit Jaimie avec un certain amusement, le poussant relâcher un peu sa posture. Il faut que tu gardes un minimum de souplesse dans tes gestes, surtout si tu dois enchainer plusieurs sorts à la suite ou lancer un envoutement, une chose que ton alignement Neutre te facilite. L’eau est l’élément qui est ton meilleur allié et si tu fais des mouvements trop brusques, tu auras du mal à le maitriser.

—Comme la magie de guérison…

—C’est ça. La brutalité en magie ne sert à rien, surtout si elle est mal dosée. Avec l’eau qui est un élément défensif, il te faut être précis si tu veux arriver à exploiter toutes ses possibilités. Une fois que tu auras intégré cela, nous pourrons voir quelles sont tes limites pour user du feu et de l’air.


Même s’il a d’abord été déçu d’apprendre que c’était l’eau son élément, il avait compris qu’il allait devoir travailler pour en découvrir toutes les subtilités avant de passer au reste. Le perfectionnement ne lui faisait pas peur. Si c’était nécessaire, il allait réviser tous les jours.

Il finit par faire le vide dans sa tête et se concentrer uniquement sur sa baguette… jusqu’à se faire déconcentrer par une espèce de farfadet qui passait par là et, au lieu de faire luire sa baguette, il lui jeta involontairement un sort qui l’emprisonna dans une bulle magique, ce qui ne plaisait visiblement pas à cette petite créature.

—Oups… lâcha Gabriel en constatant sa gaffe.

—Cela peut arriver au début, s’en amusa Jaimie. Avec la pratique, tu arriveras à trouver comment tu dois te concentrer pour pratiquer ta magie de façon optimale.


Après avoir prononcé ces mots, elle se baissa pour donner une pichenette dans la bulle magique, faisant éclater cette dernière dans un « POP ! », libérant un farfadet quelque peu agacé qui alla exprimer son vif mécontentement en engueulant copieusement le jeune magicien dans une langue qu’il ne connaissait point avant de disparaître dans les bois, laissant à peine le temps à l’adolescent de s’excuser.


Quelques heures de pratique plus tard, Gabriel avait réussi à piger le truc et était plus à l’aise. Le soleil déclinant, Jaimie mit fin à leur leçon et vu son sourire en coin, elle était satisfaite.


—Tu t’en es très bien sorti pour une première fois, lui confirma-t-elle avec douceur. Nous nous reverrons demain après-midi pour consolider tout ça et le moment venu, je t’enseignerai quelques sortilèges.

—Vraiment ?! s’exclama-t-il, ravi. Je serai à l’heure, promis ! A demain !

—A demain.

Enthousiaste, l’adolescent quitta rapidement la clairière, impatient de raconter tout ce qu’il avait appris à sa mère.


Seulement, à son départ, le sourire amusé de Jaimie retomba, son esprit se recentrant sur ce qu’elle devait vérifier au sein de la clairière, une opération qu’elle répétait chaque jour depuis qu’elle avait trouvé ce lieu et découvert ce qui s’y cachait. Elle s’enfonça donc dans les bois, là où elle l’avait vue pour la dernière fois.

—Où l’as-tu cachée cette fois ?


Cette clairière avait probablement dû abriter quelque chose de puissant en rapport avec la nature. Seulement, quoique c’était, ce n’était plus ici depuis très longtemps mais son influence était toujours là, ce qui lui laissait penser que cela était lié à l’arbre Yggdrasil, disparu lors du Ragnarok. Ses racines se seraient-elles étendues jusqu’ici ? Cela n’avait rien d’impossible vu que cette vallée jouxtait Midgard…


Puis enfin, elle vit ce qu’elle cherchait… ou plutôt qui, révélée par cette clairière enchantée qui la gardait en son sein, se comportant tel un cocon protégeant la chenille s’y trouvant en attendant qu’elle ait achevée sa transformation.

Seulement, la chenille en question était la seule de ses sœurs ayant survécu à la chute d’Avalon : Fairy. Tout comme elle, elle ne se trouvait pas à Elysia lorsque ce royaume de lumière fut frappé par une violente magie qui le balaya, dérobant la magie de ses habitants puis leur force vitale. Par contre, elle ignorait comment elle avait pu atterrir ici, plongée dans un sommeil qui durait depuis de nombreuses années et ses cheveux blonds ayant viré au roux pour une raison inconnu.

Jaimie n’osait pas déplacer Fairy car quoiqu’elle ait pu subir, cette clairière était son seul salut, celle-ci semblant chercher à la protéger et à la… soigner. Elle n’avait donc pas d’autre choix que d’attendre le jour où sa cadette allait enfin ouvrir les yeux.

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